L’amour s’égare t-elle quelque part afin de se cacher de certaines personnes ? A-t-elle une humeur joyeuse quand elle se lève le matin et se couche le soir ? Rend-elle la vie vraiment meilleure et surtout donne elle un sens à la vie ? De nombreuses questions que je me posais sans avoir de réponses. Je les écrivais sur des bouts de papiers que je collais au dos de chaque page de mon journal intime. J’avais toujours eu l’envie d’avoir envie de quelqu’un, mais qui ? Cela a commencé vers six ans, je cherchais en espérant. Puis vers onze ans, j’ai continué à chercher mais sans plus y croire. Maintenant j’ai seize ans, et je ne cherche plus l’envie de trouver. A quoi bon chercher à trouver si on n’en a pas l’envie ? A quoi chercher si on ne trouve pas ce que l’on cherche ? Mon père se tue à me répéter inlassablement, tous les soirs avant de m’endormir « Continue de chercher, un jour tu trouveras » ou bien « Ne pas chercher, c’est en quelque sorte, Ne pas trouver ». J’ai la nette impression d’être dans une impasse. Dans un trou perdu au milieu de nulle part, alimenté que par un faible espoir qui ne tardera un jour ou l’autre à se désintégrer. Pourquoi n’aime t-on pas ceux qui cherchent à aimer ? Viendra t-il un jour ? Je l’espère, même si ça commence à devenir un rêve. Je me suis fait belle, je me suis inscrite dans des clubs de rencontres, j’ai arpenté tous les hommes que j’ai pu trouvé, aucune personne n’est venue vers moi. Suis-je laide ? Ais-je des cheveux ou des yeux qui ne me correspondent pas ? Les quelques rares demandes que j’ai put faire se sont conclues par « Je t’aime », « pas moi ». C’est toujours comme cela, une vie amoureuse. C’est l’amour que l’on cherche, jamais lui qui vient. Pour ma part, il ne viendra sans doute jamais. J’arrête de penser à tout cela, c’est terminé, c’est du passé. Je n’y peut rien, il faut que je passe à autre chose. Triste réalité mais c’est comme cela et pas autrement.
Depuis toute petite, je venais régulièrement ici avec mon père. On bavardait sous les peupliers, on chantait des comptines au bord de l’eau et on s’échangeait des techniques de pêches sur sa barque. Souvent, il m’emmenait dans sa barque et on allait pêcher ensemble. Il m’apprenait beaucoup de choses. On se baladait parfois, souvent en temps de pluie, dans la grande forêt à l’abri des temps pluvieux. Alors on riait aux éclats aux blagues que l’on s’échangeait. Tous ces moments me manquent tant. Depuis sa mort inattendu, il y a six ans de cela, je devais venir seule, mais venir quand même afin de me remémorer ces instants de bonheur et rendre hommage à mon père tant aimé. J’y venais le soir après les cours, le matin au soleil levant et les week-end, bref tous les moments libres je les passait là bas. Dans la forêt, il m’apprenait également le nom des arbres, le « cèdre » a été le premier qu’il m’a découvert. Depuis, j’en ai répertorié environ cinq cents dans un cahier que j’ai gardé. La nuit quand le sommeil ne vient pas, je relis quelques noms me rappelant des souvenirs. Contre ma totale volonté, j’exerçais une désobéissance sur ma mère qui m’interdisait de m’y rendre. Elle ne voulait pas que j’y aille, elle prétextait l’endroit comme incertain et dangereux. Moi je pensais simplement qu’elle désirait cacher sa jalousie envers papa, car c’était lui qui s’occupait de moi. C’était lui qui me bichonnait, qui tous les soirs me racontait une histoire avant de m’endormir. Maman avait vécu ces années douloureuses. C’était elle qui allait travailler pour gagner un peu d’argent. Papa lui, est resté au chômage et a consacré plus de temps pour moi que de trouver un travail. En me rendant au lac Beloeil, car c’est ainsi que papa et moi le nommions, je manquais non seulement de respect envers maman, mes aussi des occasions de me rapprocher d’elle. Maintenant, elle aussi, licenciée, elle occupe ses journées à jardiner son terrain ou à cuisiner, comme toutes les mères, des bons petits plats. Je ne me lassais pas du paysage qu’offrait cette grande étendue. Mon père avait certainement, même sûrement, raison, c’était le plus bel endroit au monde que l’on puisse admirer. Une surface chaleureuse, parfumée de plantations assez originales, ici et là, donnant un sens particulier au paysage. Des couleurs estivales, tout au long de l’année, on n’en trouve pas que sur les cartes postales. J’avais les yeux qui en prenait pleins la vue, et ceux à chacune de mes visites. Un alignement parfait avec le soleil, rend la beauté du site encore plus magnifique que d’habitude. Le lac Beloeil a une particularité, qui la différencie de tous les lacs. Elle est propre et d’une couleur limpide reflétant parfaitement nos corps. Papa et moi s’amusions à grimacer, on regardait dans l’eau celle de l’autre, qu’est-ce qu’on s’amusait bien à cette époque ! Le lac fait son show. Les arbres se dandinaient dans un spectacle naturel donc la principale actrice devenait l’eau ruisselante. Chacun de ses gestes étaient calculés, elle coulait en harmonie. Elle était belle, alors je la regardais. Je contemplais toute son étendue, de son point culminant, là bas, près d’une maison accolée aux rochers, jusqu’à la fin de son chemin, en bas du village, au milieu des maisons. Mon père me racontait ses souvenir, de lorsque nous habitions au village,il disait que je me levais très tôt pour m’y baigner en admirant le lever de soleil. A l’époque, c’était un plaisir pour tous les petits du village, de nager dans ce bonheur. A présent, rare son les enfants qui s’y aventure, pourquoi ce changement ? Mon père n’a jamais su m’expliquer pourquoi. Je la fixais, je l’analysais. J’ouvrais grand mes yeux, pour qu’ils ne se referment pas, ne serait-ce qu’un instant, jusqu’à écoeurement de mes pupilles. Une anomalie se glissait parmi le décor, une particule d’eau verte flottait tranquillement sur le lac. Elle me fit fermer les yeux. Je m’envole, ou peut être, n’est-ce qu’une impression. Je pars loin, très loin dans un nouvel univers. Soudainement, je redescends à vive allure tel un ascenseur sans câbles. Jamais je n’aie pris autant de plaisir à aller vite.
Mes yeux s’entrouvrent, abîmés par le voyage ils se referment aussitôt. Je frotte doucement et ils s’ouvrent. Mon premier constat fut que je n’avais pas bougé d’un poil, ce qui me rassura dans un premier temps. Puis peu à peu je découvris dans le paysage de nouvelles anomalies par rapport au paysage habituel. Les oiseaux hurlaient, les arbres s’agitaient en tous sens, des animaux aux allures lentes comme les escargots se hâtaient, d’autres aboyaient leur désespoir. Des battements d’ailes en détresse se firent entendre. L’eau est recouverte d’une épaisse couche de feuilles, d’herbes et de détritus.
Quelque chose ne va pas. Je le vois, je l’entends, je le sens. Il y a un problème. Ce sont mes yeux qui ne reflètent plus la réalité, mes oreilles qui sont devenues sourdes ou bien mon cerveau qui n’a plus envie de travailler ? Je ne rêve pas, une douleur au pieu m’apporta la confirmation. Que se passe t-il ? J’emprunte le petit chemin rocailleux, qui à la base était doux et agréable. Je manquais de peu de tomber au sol. Au grand arbre, la gauche mène à ma maison, la droite à je ne sais où. Mon père m’avait toujours interdit d’y aller car lui non plus ne savait pas ce qu’il y avait. Il était temps de révéler ce qui se cachait au bout du chemin. Sur le chemin, un garçonnet passait devant moi en semant derrière lui des morceaux de pains. Je trouvais la scène étrange. Je me rapprochais d’une habitation facilement repérable par la fumée qu’elle dégageait. Le portillon s’est ouvert. Avant que je n’aie eu le temps de poser ma main sur la poignée, la porte s’ouvrait.
- A l’aide. Cris-je en sursautant
Je cours vite, le plus rapidement que je peux. Je voudrais être l’eau d’un lac ou d’un fleuve. Comme l’a si bien dit Franz Bartelt, l’eau à une vitesse plus rapide que l’homme. Même si l’humain va à deux cents kilomètres heures et l’eau à cinq. L’eau sera toujours devant l’humain. Il ne pourra en aucun cas la dépasser et se rabattre devant elle. Il a donc conclut que l’eau a une vitesse plus efficace que l’homme. Je plussoies cet auteur. J’aimerais pouvoir couler aussi vite. L’humain n’est pas si rapide que l’on ne croit. C’est juste qu’il pense aller vite. Derrière moi il est grand. Je suis poursuivi par un géant. Son ombre me devance. « Il ne doit plus être très loin de moi » pensais-je. Il a de grandes jambes, mais ça ne suffit pas. Au grand arbre, à gauche. Que dois-je faire pour fuir ce monstre qui n’a qu’une pensée : me dévorer ? Comment rentrer chez moi et quitter ce monde purement imaginaire ? Je réfléchis tout en courrant. Le lac, la goutte. Si comme dans les contes, je fais la même chose que j’ai fait pour en arriver là, je pourrais peut être rentrer. Il faut donc trouver cette goutte verte. Mais comment la repérée dans un lac entier de petites gouttelettes vertes ? Où est le lac ? Ici. Je veux rentrer à la maison. Là une goutte flotte, elle est plus foncée que toutes les autres, je la fixe …
Son eau est-elle buvable ? En tout cas elle me donne l’envie de la goûter ne serait-ce qu’une ou deux gouttes. Je suis sure qu’elle est meilleure que celle en bouteille. Rien qu’à la regarder. Je plonge mon index dans le lac. Je regarde les quelques gouttes capturées. Elles glissent sur toute la longueur de mon doigt. Elle veulent peut être s’enfuir. Qu’elles sont belles !
- Par tous les diables ! Et dire que je m’apprêtais à boire ça. C’est affreux. Elle contient un peu plus de clarté que celle de tout à l’heure recouverte de feuilles mais elle n’est pas potable.
Pourquoi lorsque je te regarde tu te transformes ? T’as peur de moi ? Tu ne m’aimes pas ? Tu m’as fait oublier le pourquoi du comment. J’oublie. Que s’est-il passé ? Cherche. Ca y’est je m’en souviens. Dans la petite forêt, un garçonnet semait du pain derrière lui poursuivit par un ogre. Ais-je rêvé ? Où suis-je d’ailleurs ? Une seule réponse à la question. Chercher c’est important dans une vie. Je me rends compte de l’importance des paroles de mon père. Le décor est un peu plus coloré et expressif que celui de tout à l’heure. Il y a toujours là, un sentiment de peur. Je marche. Au grand peuplier, je tourne à droite pour me diriger vers la petite maisonnette. Le chemin est dégagé.
- Ouah ! Que c’est joli ! Ca me donne faim tout ça !
Allons tout de même sonner pour en avoir la permission. Et dire que cette maison se trouve en face de chez moi. Pourquoi n’ais-je pas eu plutôt la curiosité de passer ici ? « Ding Dong ». La porte s’ouvre. Je sursaute. Je tends ma main sur le muret pour agripper un morceau et m’enfuis de toutes mes jambes. Cette vieille dame est horrible, avec sa grosse verrue sur le nez, ses cheveux noirs en pagaille. Elle est vraiment hideuse. Elle me court après avec ses petites jambes. J’ai envie d’éclater de rire, vu la vitesse à laquelle elle avance mais j’en n’ai ni le temps ni la haine pour le faire. Le peuplier, virage à droite. L’eau. La voici. Regarde. Fixe. Concentre-toi. Calme-toi. Fixe la.
J’ai eu chaud. Courir ça me donne faim. Quels étaient ces bruits d’enfants ? On dirait qu’ils criaient. Une petite fille et un petit garçon. Le principal c’est que je sois saine et sauve. J’allume, avec mon briquet que je garde dans ma poche droite, un petit feu de camp. Que c’est bon de grignoter un peu de pain d’épice devant un peu de chaleur. Allez s’en ait finit pour aujourd’hui. Quelle journée.
- Je reviendrais demain, c’est promis dis-je au lac.
J’ai bien aimé cette rencontre avec cette eau éclaboussante de clarté, de beauté, de propreté. Quelle rencontre ! Je suis étonnée. Pour une fois, que je vais pouvoir m’amuser à résoudre un mystère. De plus, il est en bas de ma fenêtre. Courage, dans quelques heures j’y retourne. Promis. Une eau qui change d’apparence ça éveille la curiosité. Je m’endors.
Le lendemain matin, aux aurores, je me lève doucement. Mes paupières sont prêtes, elles désirent en savoir plus sur cette magnifique eau. J’écris un petit mot d’absence à ma maman et je l’affiche sur le micro-ondes qui je suis sûr lui servira le lait bouillant qu'elle remplira de céréales. Je prends un sac et y fourre quelques petites bricoles tel qu’une lampe de poche, un paquet de biscuit et des vêtements de rechange. Je sors dans la pénombre. Il est seulement cinq heures. Le temps on s’en fiche. Il peut être n’importe quelle heure, le temps n’a aucune influence sur la vie, j’en suis persuadé. Le lac ruisselle tranquillement de haut en bas. Le ciel se découvre peu à peu. Je marche d’un pas décidé comme si j’allais ne pas m’arrêter devant elle et marcher dessus. Bien évidemment, je m’arrête et enlève mes sandales. Je baigne mes pieds dans ce lac. L’eau est chaude, elle reflète mon corps avec précision. Je balaye son entourage de mes petits yeux. Je fixe.
Même mauvaise surprise que la veille, j’aurais du m’en douter. Tu ne veux pas que je te regarde. Je retire mes pieds, à présent, recouverts d’algues et d’une eau boueuse. Je remets mes belles sandalettes bleues. Aussi bleu que l’eau du lac, mais un peu plus abîmées que sa couleur. Je marche vite sur le petit chemin. Que va-t-il m’arriver ? Dois-je prendre de l’anticipation ou tout prendre au fur et à mesure ? La deuxième option me parait pas mal. Le chemin est bordé de jonquilles, de tulipes rouges et de quelques plantes carnivores. J’accélère le pas. Le peuplier est toujours là, je le contourne direction la maisonnette. Pleins de pancartes accrochées sur le petit portillon annoncent « Attention aux cent un chiens ». Rien à l’extérieur. Où sont-ils ? Certainement pas partis puisqu’ils ne sont pas dehors. Je rentre. « Ding, Dong ». Après plusieurs secondes d’attente, personne ne prend la peine d’ouvrir, c’est à moi qu’en revient la charge. J’entre en silence. A peine ais-je fais quelques pas, ils foncèrent sur moi la gueule grande ouverte. Si je ne veux pas finit en pâté pour chien, il faut que je me dépêche. Je me retourne. Enjambe le portillon et fonce vers le grand peuplier. Ils me poursuivent de près. Je n’arrive pas à augmenter mon avance. Là. Je regarde l’eau. Un chien mord dans mon jean. Beurk. Je fixe.
J’essuie la bave avec l’eau … Non. Surtout pas. L’eau ne mérite pas cette peine. J’essuie donc mon jean contre l’herbe. Je souffle. Ma respiration redevient normale. Je n’ai plus de craintes à avoir. On dirait qu’à chaque fois que je fixe cette eau, une nouvelle histoire se passe. De nouveaux évènements ont lieus. Mieux ne vaut pas que j’y retourne. Je pourrais très bien tomber sur un ours, sur un magicien fou de magie noire ou bien encore je ne sais quelle fantaisie. C’est trop dangereux. Non, je n’irais plus. Je ne fixerais plus cette eau. Je la regarderais du coin d’œil mais pas en entière. Les contes de fées regorgent de prince charmant mais ils sont inaccessibles. Il faut que je reste dans les limites de nos territoires. Il faut que je me motive, je le trouverais. Il ne doit pas pourtant être bien loin. Je rentre avec une grande déception visible sur mon visage. Et moi qui croyais que les contes pourrais égayer ma vie si monotone. La dangerosité fait que mon cœur n’a plus envie d’y retourner. Mourir à mon âge ? Pas maintenant. Je suis dans la réalité. Rien ne peut m’arriver. Au grand peuplier, deux chemins s’offrent à moi. Soit je rentre directement dans mon chez moi ou je découvre, ce qui serait une première, le réel voisin d’en face. La curiosité l’emporte. Mon corps pivote vers la droite à l’aide de la force tractée par mon bras agrippant une branche. Jamais je ne suis allé en face. Jamais je n’ai eu le courage de regarde en face. Ma mère m’y avait même interdit parce qu’elle aussi a peur. Elle pense que la forêt est habitée par des créatures. « La forêt on peut s’y perdre » avait-elle même surenchérit. Je vais braver ses conseils. La maison en briques jaunes, assez banale, que l’on peut admirer un peu partout dans la région, dégage une certaine chaleur contrairement aux autres. Jamais je ne me suis sentit aussi bien devant une maison étrangère. Je respire le bonheur. Je vais enfin savoir, la réponse à la question : qui ? J’ouvre la porte sans même prendre la peine de sonner ou quoi que ce soit. L’intérieur est chaleureux, et très coloré. Tapisseries de toutes les couleurs accompagnées de tags représentant des éléments de la nature. Des couleurs vives, qui flashent aux yeux. Des murs personnalisés par des photos accrochées un peu partout montrant un adolescent triste mais qui faisait sa vie comme tous les autres. Je m’arrêtais sur l’une d’entre elle. Elle montrait à quel point, les parents du petit garçon de la photo prenaient soin de leur bébé. Soudain, une main me prit l’épaule, je sursautai. J’avais une envie de fuir mais ses doigts se resserrèrent dans les creux de mes épaules. Je me retournai. Un adolescent souriait.
- Bonjour dit-il d’un ton laconique. N’aie pas peur, je veux juste que tu restes un peu avec moi rajouta t-il de sa douce voix.
J’hésitai longuement, réfléchissant à ce que je pourrais bien dire puis me lança :
- Qui es-tu ? Demandais-je d’une voix saccadée.
Il baissa la tête, ouvra sa bouche puis la referma immédiatement ce qui me laissa entr’apercevoir une dent dorée au fond de sa bouche. Il reprit la parole, regardant le sol :
- Je m’appelle Ben. Je vis ici, dans cette maisonnette
Il s’arrêta un moment puis reprit :
- Depuis qu’ils sont morts.
J’étais absorbée par son récit. Il n’arrivait visiblement pas à articuler ses paroles, elle lui restait au fond de sa gorge comme des douleurs incessantes.
- Qui ça ils ? Demandais-je, même si je connaissais la réponse
- Mes parents, ceux qui m’ont apporté un amour que je n’ai jamais pu leur renvoyer. La dernière fois que je les aie vus, ils se baignaient dans ce lac Beloeil. Le soir lorsque ma nourrice ma ramenée de l’école, elle m’a clairement expliquée que mes parents reviendraient bientôt, et qu’ils étaient en bonne santé. Puis elle aussi, s’est en allée, quelques mois plus tard, elle n’est pas venue à son tour me chercher après mes cours. A l’époque je devais avoir cinq ou six ans, je ne comprenais pas très bien ce qu’il se passait. Puis au fil des années, j’ai mesuré les dégâts.
Son histoire me toucha profondément, elle mit mon cœur en action et mes organes sensoriels en vibrations. Je ne voulais pas trop rentrée dans son univers, pas conscience. Je sentis la douleur que je lui imposais en lui faisant raconter les faits, alors je changeai rapidement de conversation :
- Tes yeux sont magnifiques m’exclamais-je
Il parut gêné. Ma présence ne devait pas trop lui plaire. A l’instant même sa tête devait se demander s’il avait bien fait de me laisser entrer. Mon esprit se renfermait, mes yeux se fermaient sur une dernière vision de lui.
Le calme était rigide dans ces haut bois. Le soleil dardait ses rayons aux travers des arbres et les faisaient parvenir jusqu’à moi. Il me donnait une chaleur, il me faisait avancer plus rapidement. « Plus vite je serais parvenue, plus vite je saurais » me disais-je. J’avais l’envie de tout savoir. Ma tête se posait tellement de question, qu’elle ne prenait même plus le temps de les examiner. Je ne voulais plus le revoir mais il le fallait. Je n’avais eu le temps de lui raconter mon histoire, cette étrange monde venant du lac.
-Bonjour Sidonie m’accueillait t-il les yeux émerveillés comme s’il ne s’attendait pas du tout à ma visite matinale
- De quel nom m’as-tu appelée ? Sidonie, c’est bien cela ? En réalité je m’appelle Célia.
- C’était juste un nom au hasard, je pensais que tu t’appelais ainsi en voyant ton bracelet hier.
- Celui que je portais autour de mon bras hier ? C’est celui de ma cousine, elle est morte elle aussi, il y a quelques années de cela, dans un accident de moto, elle n’avait que quinze ans.
- Vas y, ne restes pas au pied de la porte, entre dit-il tout ému
Sous sa demande, et constatant que l’air frais commençait à me faire frissonner, j’entrais dans sa demeure. Je ressentis plus d’émotion qu’à ma première découverte. Les couleurs flashaient et étaient encore plus chaleureuses de bon matin. Je m’asseyais sur une chaise dans la salle à manger en attendant son retour. J’examinais la pièce avec attention, chaque recoin reflétait une propreté que j’avais retrouvée auparavant dans l’eau du lac. Il revint me regardant, je sentais que son regard me transperçait et regardait en réalité derrière moi.
- Qu’avais-tu à me dire de si bon matin ? Me demanda t-il.
- Je voulais te raconter quelque chose.
Il venait de verser dans un verre, un liquide rose vermeil. Il versa dans un deuxième verre, posa la carafe et s’assit à mes côtés. Il posa son regard sur mes yeux ce qui me fit rougir.
- Voilà je sais que tu vas me prendre pour une folle mais il faut que je te le dise. Tout à commencer, avant-hier, au bord de ce lac. Je le regardais, inlassablement. Puis il me transportait dans d’autres univers, des univers de contes. Je courrais perpétuellement suivie d’une sorcière, de chiens ou bien d’un ogre sans savoir ce qu’il faisait ici. Je voulais savoir si c’était mon imagination ou pas ?
- Je ne sais pas quoi dire, il s’est passer tellement de choses bizarre avec ce lac, que l’on peut tout imaginer, même le pire.
Il engloutit son verre d’un coup sec. Je fis signe que je n’en voulais pas et engloutissait le verre. Quelques secondes plus tard, voyant que je ne réagissais pas, il me proposa d’aller se balader non loin d’ici :
- On ira juste derrière dans le petit champ. Tu veux venir ou pas ?
J’acquiesçais d’un signe de tête. Jamais je ne m’étais sentie aussi proche d’un garçon, néanmoins je n’éprouvais aucune envie de sauter dans ses bras. Ses larges épaules et ses cuisses assez développées ne m’inspiraient guerre. Au contraire, j’en avais peur.
Je le suivis tout le long de la forêt. A une bifurcation, il tourna à gauche. Il n’y avait plus d’arbres, juste une grande étendue d’herbes. Tout au fond, il me montrait l’eau, la source du lac Beloeil. On y allait.
- Bienvenue à toi, petite nouvelle, est-tu venue m’admirer ?
Qui est-ce ? Quelle est cette voix ? Ma tête, qui quelques secondes plus tôt, était pour la première fois avide de toutes pensées, sans doute sous le charme, faisait jaillir des dizaines de questions à la fois. « J’aurais du dormir un peu plus » pensais-je », « l’évanouissement de la veille est une conséquence, il faut que je dorme ». Mais quand cette même voix, dans le même endroit indécis, répéta exactement les mêmes mots formant sa question, je fus surprise.
- Qui me parle ? Qui êtes-vous ? Montrez-vous
- N’aie crainte. Je suis là juste devant toi. C’est moi, la source du lac Beloeil. Calme-toi.
Le jeune adolescent n’était plus à mes côtés, sa présence me réconforterait. Dois-je m’enfuir ? J’avais un semblant de rêve, mais non, un pincement au poignet affirma que cela n’en était pas un. Toujours abasourdie, je m’asseye près d’elle afin de comprendre.
J’ai à nouveau contemplé son eau. Je regarde autour d’elle, rien n’a changé. La source parle vraiment, où suis-je, dans la réalité ou dans un rêve ?
-Ce que tu regardes, c’est mon eau. Elle est si propre, qu’il y a un ou deux millénaires de cela, Poséidon devenu jaloux de mon eau. Il se vengea, en me donnant la parole. Au début, je pensais que, au contraire, il venait de me faire bénéficier d’un énorme avantage. Puis au fil des années, les visiteurs se firent moins nombreux jusqu’à ne plus venir du tout. Les touristes eurent, en effet, peur de moi. Je coule sur tous le long du lac, mais seule ma source, peut entendre et parle. Puis, quelques années après cette vengeance, il m’en a infligée une deuxième, une qui éloigna les quelques rares touristes qui venaient. Chacun de ceux qui me regardaient, se voyaient envoler dans un autre univers, certains ne savent toujours pas où ils sont et ne sauront jamais.
Elle s’arrêta ponctuellement, je me rassis correctement et elle reprit :
-Je me suis sentie vraiment très seule, ces dernières années. Il n’y avait rien de plus amusant que de regarder le triste ciel changeant, j’ai souffert. Le seul qui m’a fait oublier cette solitude c’est Paco, le garçon qui t’a guidé à moi. La première fois, j’ai hésité avant de l’interpeller, longuement réfléchi. Ce n’est que deux ou trois mois après sa première rencontre que je décida de me lancée. Sans trop savoir, s’il allait fuir ou rester à mes côtés mais il le fallait, pour moi et pour mon site touristique. Sa réaction ne m’a pas surprise, il s’est en allé en courant chez lui et n’est réapparu que quelques mois plus tard, par erreur, ne se souvenant plus de moi. C’est alors que je lui aie reparlé, cette fois-ci il s’est arrêté et c’est assis comme tu la fais, à cet endroit exact.
Ses paroles me touchaient profondément.
- Par la suite, il m’a raconté sa triste solitude, c’est pour cela qu’il m’a bien acceptée la seconde fois, c’était parce qu’il avait besoin de s’ouvrir aux autres, quel qu’ils soient. Le pauvre, il a certainement perdu ses parents à cause de mon eau, je suis maudite.
La source se mit à s’agiter fortement. Des vagues se cognèrent bruyamment contre les rochers qui la bordait. J’avais de la peine pour elle.
-Ne pleure pas, moi je suis bel et bien là, je te crois. Je viendrais tous les jours, au près de toi. Moi aussi je suis malheureusement toute seule et moi aussi j’ai besoin d’un peu de compagnie. A l’école je suis rejetée par les autres, je n’ai pas d’amis.
La source arrête ses pleures et reprend d’une voix douce :
- C’est vrai ? Super alors. Pour te remercier je peux te donner des yeux magnifiques, après lorsque tu sortiras dans la rue, les gens succomberont à ton regard.
- Ce serait vraiment gentil de ta part
- Pour cela, tu n’as qu’à fixer mon eau pendant dix secondes et annoncer eau, non je voulais dire, haut et fort « La source je suis à toi pour la vie, si je désobéis tu me punis ».
Sans plus attendre, je fixai la source du lac Beloeil durant dix secondes et annonce :
- La source je suis à toi pour la vie, si je désobéis tu me punis
L’écho de ma voix retentit dans toute la forêt. Paco arriva en courrant. Il souffle.
- J’ai entendu un cri, quel était-il ? Et toute cette eau en dehors de la source, que fait-elle ? Que s’est-il passé ? Qu’as-tu fait ? demanda t-il très inquiet
- Calme toi, Paco, c’est moi. Je n’aurais pas du mais tout est rentré dans l’ordre. N’aie aucune inquiétude, tout va bien, même plus que bien.
Il reprit son humeur joyeuse dans laquelle je l’avais rencontré la veille.
- Je te remercie du fond du cœur de m’avoir montré cet endroit formidable et surtout elle, celle qui mérite plus que n’importe qui d’être connue. Je veillerais à ce qu’elle ne s’ennuie pas et qu’elle s’amuse.
Je commence à avoir de nombreuses réflexions, la rencontre de Paco, la veille, s’était merveilleusement bien passée. Il me regardait, là, d’un œil léger. Il est gentil, beau et attentionné. Au-delà de tout cela, c’est un garçon formidable, du moins pour le peu que l’on a put partager ensemble.
- Paco dis-je avec un petit béguin
- Oui répondit-il toujours droit dans les yeux.
Il remarqua alors mes yeux bleu clair. Tout se passa très vite dans sa tête, ça se voyait à l’expression de son visage. Il comprit ce que je me devais de lui dire, et ce qu’il voulait entendre de moi. Il me fit signe du doigt de ne rien dire.
- T’as de beaux yeux tu sais.